Dans nos 2ᔉ et 3ᔉ commentaires de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 25/07/2025 sur les obligations des États en matiĂšre de lutte contre le rĂ©chauffement climatique, nous Ă©voquions l’articulation retenue par la Cour entre :

  • Les traitĂ©s internationaux gĂ©nĂ©ralistes — Charte des Nations unies, Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s, droit international des droits de l’homme, d’une part,
  • Les traitĂ©s spĂ©cifiques Ă  la lutte mondiale contre le rĂ©chauffement climatique, d’autre part.

Les premiers posent le cadre gĂ©nĂ©ral ; les seconds prĂ©cisent, dans le domaine du changement climatique, les modalitĂ©s de cette coopĂ©ration et de la prĂ©servation de l’environnement par chaque État.

⚖ Les obligations gĂ©nĂ©rales identifiĂ©es par la Cour

De la premiÚre catégorie découlent, selon la Cour, plusieurs obligations fortes :

  • Tous les États ont l’obligation de prĂ©venir les dommages significatifs Ă  l’environnement (droit coutumier), ce qui s’applique, pour la Cour, au systĂšme climatique ;
  • Tous les États ont l’obligation de coopĂ©rer (Charte des Nations unies) ;
  • Tous les États ont l’obligation d’agir de bonne foi (Convention de Vienne) ;
  • L’obligation de prĂ©servation de l’environnement est une obligation de moyens pour chaque État, dans le cadre de responsabilitĂ©s communes mais diffĂ©renciĂ©es et des capacitĂ©s respectives ;
  • Compte tenu des enjeux, cette obligation de moyens doit ĂȘtre assortie d’une diligence requise stricte qui inclut trois dimensions clĂ©s :
    • Évaluer les impacts et risques environnementaux de ses activitĂ©s,
    • Consulter en amont les autres États concernĂ©s,
    • Informer les autres États des mesures dĂ©cidĂ©es.

đŸŒ± Les obligations spĂ©cifiques issues des conventions climatiques

De la seconde catĂ©gorie de conventions, qui complĂštent et s’ajoutent Ă  la premiĂšre, la Cour retient, de la CCNUCC, trois obligations de rĂ©sultat procĂ©durales pour toutes les Parties :

  • Établir et mettre Ă  jour pĂ©riodiquement les inventaires de leurs Ă©missions et puits de GES ;
  • Établir et mettre Ă  jour des programmes d’attĂ©nuation ;
  • Communiquer lors des COP des Ă©lĂ©ments sur ces dimensions.

Pour les seuls pays développés, la Cour identifie des obligations supplémentaires :

  • Adopter des politiques nationales d’attĂ©nuation ;
  • Soumettre des informations dĂ©taillĂ©es sur les plans d’action et les Ă©missions devant en rĂ©sulter, en vue de ramener les Ă©missions de GES au niveau de 1990 ;
  • Se coordonner avec les autres Parties autant que de besoin ;
  • CoopĂ©rer avec les autres États, notamment pour l’échange de donnĂ©es, la recherche, les transferts de technologie, le renforcement des puits de carbone et la sensibilisation du public.

De l’Accord de Paris dĂ©coule un objectif central : limiter Ă  +1,5 °C le rĂ©chauffement et, comme obligations associĂ©es :

  • Établir, actualiser et communiquer tous les cinq ans leur CDN (obligation de rĂ©sultat), avec la plus haute ambition possible, en tenant compte des bilans mondiaux et en se concertant au niveau international ;
  • Prendre toutes les mesures nĂ©cessaires pour les rĂ©aliser ;
  • CoopĂ©rer au niveau mondial pour financer la transition verte ;
  • CoopĂ©rer de la mĂȘme maniĂšre pour dĂ©velopper et diffuser les technologies de dĂ©carbonation.

⚠ Les consĂ©quences juridiques en cas de manquement

La seconde partie de la question posĂ©e par l’ONU dans sa lettre de 2023 Ă  la CIJ concernait les consĂ©quences juridiques en cas de manquement d’un État Ă  ses obligations climatiques.

En prĂ©ambule, la Cour rappelle que, comme pour tout recours, chaque action contre un État exigera d’examiner sa situation particuliĂšre — pays dĂ©veloppĂ© ou en dĂ©veloppement — et son comportement au regard de ces obligations internationales.

En second lieu, et en rĂ©ponse Ă  certaines contributions dĂ©fensives, la Cour considĂšre que les articles 8 et 15 de l’Accord de Paris sur les Pertes et PrĂ©judices ne constituent pas un mĂ©canisme forfaitaire de responsabilitĂ© ou d’indemnisation, mais un mĂ©canisme volontaire de solidaritĂ©.

S’y ajoute donc bien un mĂ©canisme complĂ©mentaire de responsabilitĂ© climatique — Ă  trĂšs fort enjeu !

đŸ§© Les conditions de la responsabilitĂ© internationale

Les conditions gĂ©nĂ©rales de la responsabilitĂ© de l’État en droit international s’appliquent donc :

  • L’attribution d’une omission ou d’une action Ă  un État. Cela est relativement simple Ă  prouver puisque les obligations nĂ©cessaires ont Ă©tĂ© identifiĂ©es par la Cour dans son avis consultatif. La Cour souligne que ces manquements concernent tout organe sous contrĂŽle de l’État, ainsi que l’insuffisance ou l’absence de rĂ©glementation pour contenir les Ă©missions du secteur privĂ© national.
  • La causalitĂ© entre ces manquements et les dommages pour lesquels une indemnisation est rĂ©clamĂ©e. Ce sujet est complexe, mais la Cour estime cette dĂ©monstration possible en s’appuyant sur la science :
    • On est Ă  prĂ©sent capable de distinguer ce qui dĂ©coule du rĂ©chauffement climatique d’origine anthropique de ce qui rĂ©sulte de la variabilitĂ© naturelle du climat, donc d’isoler la part des dommages « supplĂ©mentaires ».
    • Ce changement climatique rĂ©sulte, selon les scientifiques, du cumul de toutes les Ă©missions anthropiques depuis le dĂ©but de l’ùre industrielle. Chaque État participe donc aux surdommages en proportion de sa quote-part de ces Ă©missions cumulĂ©es.

📊 Une responsabilitĂ© mesurable

Ceci conduit Ă  penser que la part de responsabilitĂ© d’un État en cas de manquement Ă  ses obligations climatiques correspondrait au rapport entre :

  • le surcroĂźt d’émissions dĂ©coulant de ces manquements, et
  • le volume total d’émissions anthropiques cumulĂ©es depuis le dĂ©but de l’ùre industrielle jusqu’à la manifestation des dommages.

Exemple : un doublement des frĂ©quences de sĂ©cheresses ou des cyclones de catĂ©gorie 5 gĂ©nĂšre des dommages supplĂ©mentaires. Les signataires de l’Accord de Paris qui n’en ont pas respectĂ© les obligations en sont potentiellement responsables. Leur part de responsabilitĂ© est dĂ©finie par le ratio entre leurs Ă©missions supplĂ©mentaires et la totalitĂ© des Ă©missions anthropiques depuis 1870.

Ce ratio est objectivement faible, mais il s’applique Ă  des dommages appelĂ©s Ă  se rĂ©pĂ©ter sur un horizon quasi infini. En effet, la mĂȘme rĂšgle s’appliquera pour tous les surcroĂźts de sĂ©cheresse ou de cyclones survenant jusqu’au retour Ă  un climat « normal ».

Cela crĂ©e instantanĂ©ment une dette de responsabilitĂ© potentielle colossale, impactant jusqu’au risque de crĂ©dit de l’État concernĂ©.

⚔ Qui peut agir ?

Qui est en droit d’actionner cette responsabilitĂ© ?

La Cour retient le principe dit erga omnes : les obligations climatiques Ă©tant dans l’intĂ©rĂȘt mondial, elles sont souscrites Ă  l’égard de tous les autres États.

Ainsi, tout État, mĂȘme non lĂ©sĂ©, peut engager une action en responsabilitĂ© contre un État fautif, avec un potentiel de demandes allant au-delĂ  de la simple indemnisation :

  • La demande d’exĂ©cuter les obligations omises ou de complĂ©ter celles nĂ©gligĂ©es ;
  • La demande de cesser les actions illicites (encourager les Ă©nergies fossiles, entraver le dĂ©veloppement des renouvelables, supprimer les ressources de ses scientifiques
) ;
    Et si l’État demandeur est lui-mĂȘme lĂ©sĂ© :
  • La demande de rĂ©parer, qui intĂ©resse d’abord les Ăźles menacĂ©es de submersion, mais pas uniquement ;
  • La demande de restituer, si des infrastructures ou des Ă©cosystĂšmes ont Ă©tĂ© dĂ©truits ;
  • La demande d’indemniser, le cas Ă©chĂ©ant ;
  • Et mĂȘme la demande d’excuses !

🔍 En synthùse

Les rĂšgles de droit international applicables au climat sont dĂ©sormais clarifiĂ©es, et la voie est ouverte aux États, mĂȘme non lĂ©sĂ©s, contre ceux responsables de manquements gĂ©nĂ©rateurs d’émissions supplĂ©mentaires.

Des responsabilitĂ©s potentielles trĂšs lourdes, donc, qui devraient faire rĂ©flĂ©chir les dirigeants politiques tentĂ©s de s’affranchir des conventions internationales protĂ©geant notre climat et les gĂ©nĂ©rations futures.

Et qui devraient aussi raisonner les acteurs du lobbying anti-climat, qui, en poussant des États ou groupes d’États Ă  commettre des faits internationalement illicites, hĂ©ritent eux-mĂȘmes d’un potentiel de responsabilitĂ© civile Ă  trĂšs fort enjeu.

Nul doute que des initiatives verront le jour Ă  brĂšve Ă©chĂ©ance dans ces domaines. 🌎💡