Entre nos ancêtres les chasseurs cueilleurs et aujourd’hui, la capacité nourricière de 100 hectares est passée:

  • De 2-3 personnes pour les chasseurs cueilleurs (en terre fertile, hors pêche),
  • À 200 personnes au 18e siècle en Europe,
  • À 2200 personnes au régime de protéines 40% animales et 60% végétales dans les terres chinoises fertiles où, de nos jours, une double récolte annuelle est pratiquée à grand renfort de fertilisants et de pesticides.

La trajectoire de l’agriculture mondiale est spectaculaire entre la fin de la 2nde guerre mondiale et aujourd’hui:

  • En 1950 l’humanité comptait 2,5 milliards d’habitants dont 65% n’étaient pas nourris correctement,
  • En 2019, la population mondiale comptait 7,7 milliards d’habitants dont moins de 8,9% souffraient de sous-nutrition (Source FAO),
  • Ce qui signifie qu’avec une surface agricole augmentée de 40% l’agriculture mondiale nourrit 3,7 fois plus d’humains.

Le secteur agricole est donc probablement celui qui a mené en 3 générations une des plus grandes transformations sectorielles en mobilisant 2 énergies:

  • Le soleil par la photosynthèse,
  • Le pétrole directement par la mécanisation, les transports et indirectement par la chimie,

outre les effets de la sélection des semences, de l’irrigation. 

En 1800, pour produire 1 tonne de blé à l’hectare aux US, il fallait 150 heures de travail humain par an et 70 heures de travail d’animal de trait.

En 2021, le même hectare produit 3,5 tonnes de blé par an avec seulement 2 heures de travail humain. Le Département de l’Agriculture US a arrêté de compter les animaux de trait en 1961, les tracteurs les ayant remplacés.


Mais l’essentiel du besoin de pétrole provient de l’agrochimie qui vise à fournir aux végétaux à la fois les pesticides protecteurs (en petite quantité) et les intrants boosters de développement (K pour potassium, P pour phosphates et surtout N pour Azote).

L’épandage du fumier a ainsi largement laissé place aux fertilisants et, par exemple, les grandes cultures intensives (qui nourissent aussi les animaux d’élevage) exigent entre 100 et 200 Kg d’azote par hectare par an. Or 1 Kg de fertilisant azoté nécessite au total 1,5kg de diesel pour sa synthèse et son emballage. Et malheureusement seuls 30% à 40% de l’azote déversé est retenu par les plantes, le reste impactant les sol, les eaux et l’atmosphère.

En additionnant les besoins directs et indirects, le professeur Vaclav SMIL de l’Université de Manitoba a mesuré finement les consommations de pétrole que nous avalons avec nos différents menus:

  • Blé : 100ml de diesel/Kg de grain,
  • Pain: 250 ml de diesel/Kg ou plus selon la distance de transport,
  • Poulet en assiette: 300-500ml de pétrole/Kg,
  • Tomates: 130mL/Kg si fabriquées et consommées en Espagne.

Malgré ces innovations basées sur l’agrochimie, Vaclav Smil a estimé que ces boosters anthropiques de croissance des végétaux et animaux ne représentent pas plus de 4% de notre consommation mondiale d’énergie.

Tandis que l’alimentation dans son ensemble y compris l’agroalimentaire, les transports et la préparation des aliments représente 20% de cette consommation humaine d’énergie.

Les pistes de décarbonation et de préservation des sols sont multiples dans cet environnement complexe:

  • Chasser le gaspi, de la fourche à la fourchette (33% de la production animale et végétale mondiale selon le FAO),
  • Acheter local – et national – pour réduire les transports,
  • Consommer moins: Nous ingérons en moyenne 3000 à 4000 Kcal par jour contre 2000 à 2100 Kcal nécessaires pour une activité sédentaire,
  • Consommer mieux en réduisant la consommation de viande, spécialement de bœuf. L’agriculture est responsable de 40% des émissions de méthane au niveau mondial, en lien avec son cheptel bovin,
  • Décarboner l’industrie agro-alimentaire qui transforme et transporte,
  • Décarboner l’agrochimie en remplaçant les matières premières fossiles par des produits de synthèse issus de l’hydrogène verte et de la capture du carbone et en développant les solutions fondées sur la nature.

Du coté de la Demande des consommateurs, notre défi n’est pas tant de savoir faire que de vouloir faire, ce qui nécessite une éducation et une sensibilisation permanentes.

Du coté de l’Offre, y compris des exploitants agricoles, ce secteur devra, comme tous les autres, investir pour sécuriser sa trajectoire de décarbonation. Ce qui suppose de soutenir des comptes d’exploitation dont certains, surtout dans les filières intensives en main d’oeuvre, ont été laminés par la concurrence des pays à bas salaires. 

La bonne nouvelle est que certains grands groupes agroalimentaires ont compris que leur responsabilité et la réussite de leur trajectoire de décarbonation passent par un soutien à toute la filière en amont et mettent les moyens pour concevoir et développer les bonnes pratiques notamment fondées sur la nature. À généraliser!