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Chaque année, 1% du parc de véhicules – dont ceux assurés tous risques – est victime d’un accident grave entrainant une mise à la casse. Dans ces sinistres dits de perte totale, se pose la question importante des émissions associées au véhicule indemnisé par l’assureur et, le plus souvent, remplacé.
Lorsqu’on s’interroge sur l’attribution des émissions de ces véhicules à l’assureur (Scope 3 aval), on retrouve un débat similaire à celui qui concerne les émissions financées par une banque ou par un organisme de leasing. En effet, ces institutions financières imputent à leur bilan carbone les émissions liées à l’utilisation de l’actif qu’elles financent (voitures, bâtiments, etc.).
Même si la situation d’un assureur diffère de celle d’une banque ou d’un loueur (car le cœur de métier n’est pas le « financement » mais la couverture de risques), de multiples arguments plaident pour l’inclusion des émissions d’usage du véhicule de remplacement dans le bilan de l’assureur.
Voici les points-clés qui militent en faveur de cette approche que nous défendons:
1. Une logique économique proche du financement
Une analogie évidente avec le financement bancaire ou le leasing
- Quand une banque octroie un prêt pour l’achat d’un véhicule, elle comptabilise (selon les approches du GHG Protocol et de PCAF) une part des émissions liées à l’usage du véhicule pendant la durée de remboursement, au prorata du montant financé.
- Un loueur fait de même pour un véhicule mis à disposition en crédit-bail (leasing).
- Dans le cas d’un sinistre total, l’assureur « met à disposition » ou permet l’achat d’un véhicule neuf via son indemnisation (parfois à hauteur de la valeur du véhicule).
- Sur le plan purement financier, l’indemnisation versée par l’assureur s’apparente à un flux d’argent sans lequel le client ne disposerait pas (ou pas immédiatement) du capital nécessaire pour acquérir un nouveau véhicule.
Un effet “Enabling” évident
- En indemnisant le client, l’assureur rend possible la poursuite de la mobilité individuelle du client (ou un niveau de mobilité similaire), ce qui génère des émissions (essence, diesel, électricité, etc.) durant toute la durée d’usage du véhicule remplaçant.
- Cette « capacité d’agir » est, en substance, similaire à l’octroi de fonds pour l’achat du véhicule.
Conclusion : D’un point de vue cohérence méthodologique, on peut rapprocher la logique d’indemnisation du véhicule neuf de celle d’un prêt ou d’un leasing. Dans tous les cas, il y a un flux financier qui permet l’usage d’un bien émetteur de CO₂.
2. Cohérence avec la comptabilisation des « émissions financées »
Cohérence avec le Protocole GHG et PCAF
- Le GHG Protocol (catégorie « Investments », Scope 3, Catégorie 15) et la méthodologie PCAF (Partnership for Carbon Accounting Financials) préconisent d’attribuer à l’institution financière les émissions liées à l’actif financé.
- Bien que PCAF s’applique principalement aux banques, aux fonds d’investissement et aux sociétés de leasing, le raisonnement peut être transposé à l’assurance en constatant que l’assureur “finance” de facto un véhicule de remplacement à travers l’indemnisation.
- Cette homogénéité entre acteurs financiers est souvent recherchée pour améliorer la comparabilité des bilans carbone.
Alignement avec les politiques de décarbonation du secteur financier élargi
- Les institutions financières (banques, assurances, gestionnaires d’actifs) sont de plus en plus encouragées à publier leurs émissions financées ou “enabled emissions”.
- Dans certains cadres, comme la CSRD ou l’Article 29 de la loi Energie-Climat (en France), on attend une vision globale de l’impact carbone de l’activité.
- Intégrer les émissions d’usage d’un véhicule indemnisé renforce la cohérence avec les approches existantes et permet de mieux mesurer l’impact réel de l’activité sur les émissions de GES.
3. Responsabilisation et incitation à la réduction des émissions
Lever d’action sur le choix du véhicule
- Si l’assureur intègre l’impact des émissions d’usage dans son propre reporting, cela l’incite à mettre en place des politiques tarifaires et incitatives favorisant des véhicules moins émetteurs (ex. bonus en cas de remplacement par un véhicule électrique ou hybride).
- Dans certains contrats, une clause verte peut même prévoir un complément d’indemnisation si le véhicule sinistré (thermique) est remplacé par un modèle électrique.
- Grâce à ce dispositif, l’assureur oriente directement le choix d’achat du client, réduisant potentiellement l’empreinte carbone en usage du véhicule de remplacement.
Principe de responsabilité sur la sphère d’impact
- Même si la responsabilité directe des émissions liées à la conduite incombe au client, l’assureur, en « rendant possible » l’acquisition d’un véhicule, contribue à ces futures émissions.
- Pour un assureur qui cherche à piloter sa trajectoire carbone et s’inscrire dans un objectif Net Zero, inclure cet item peut être vu comme un pas logique vers la responsabilisation de l’ensemble de la chaîne de valeur.
Face à ces arguments certains acteurs de l’assurance rechignent à inclure tout ou partie des émissions d’usage des véhicules remplacés en cas de perte totale pour les remplacer par deux autres dimensions:
- Les émissions de fin de vie du véhicule accidenté (Démantèlement, recyclage et mise au rebut)
- Certaines parties du véhicule peuvent être recyclées (métaux, plastiques, etc.), mais d’autres génèrent des déchets non récupérables.
- Exemple pour une voiture thermique de 1,400 Tonne :
- Facteur d’émission estimé pour le recyclage/mise au rebut : 1,2 kgCO₂e/kg
- Total : 1,4 × 1,2 = 1,680 Tonne CO₂e
- Exemple pour une voiture thermique de 1,400 Tonne :
- Certaines parties du véhicule peuvent être recyclées (métaux, plastiques, etc.), mais d’autres génèrent des déchets non récupérables.
- Les émissions de production du véhicule de remplacement
- Puisque l’assureur finance un nouveau véhicule (via l’indemnisation), il est en partie responsable des émissions de fabrication de ce dernier. Ces émissions comprennent l’extraction des matières premières, la fabrication, l’assemblage et le transport du nouveau véhicule jusqu’au client. La production d’un véhicule neuf génère en moyenne :
- 7 à 10 tCO₂e pour un véhicule thermique
- 12 à 15 tCO₂e pour un véhicule électrique (principalement à cause de la batterie).
- Puisque l’assureur finance un nouveau véhicule (via l’indemnisation), il est en partie responsable des émissions de fabrication de ce dernier. Ces émissions comprennent l’extraction des matières premières, la fabrication, l’assemblage et le transport du nouveau véhicule jusqu’au client. La production d’un véhicule neuf génère en moyenne :
- Ces chiffres peuvent paraitre significatifs mais ils sont en fait modestes, comparés à ceux des émissions d’usage. Par exemple sur la durée de vie résiduelle d’un véhicule thermique remplaçant un véhicule détruit, ces émissions liées au roulage de ces véhicules représentent :
- 2 tonnes / an x 10 ans de vie résiduelle = 20 Tonnes CO₂e , ce qui montre l’énorme sous estimation!
- Enfin, à l’évidence, favoriser le véhicule de remplacement thermique parce que moins émissive que l’électrique est contraire au bon sens…
Conclusion
2 arguments majeurs justifient d’attribuer les émissions d’usage du véhicule de remplacement à l’assureur:
- Le premier est la cohérence avec les pratiques de comptabilisation des émissions financées (banques, leasing), et dans la reconnaissance de son rôle d’“enableur” du remplacement du véhicule sinistré: Sur le plan financier, l’indemnisation peut être vue comme un soutien économique direct à l’acquisition d’un nouveau véhicule, d’où un parallèle justifié avec les émissions financées par un crédit ou un leasing.
- Sur le plan stratégique, inclure ces émissions incite l’assureur à influencer positivement le choix du véhicule de remplacement (via des offres vertueuses, des clauses vertes ou des incitations financières), participant ainsi à la décarbonation du parc automobile.
Les seuls contre-arguments étant la crainte des volumes induits. Mais la pente de réduction est, à l’évidence, plus importante que le niveau de départ!
L’intégration de ces émissions d’usage dans le bilan GES de l’assureur est donc un choix vertueux dans une perspective de responsabilisation et de transparence des émissions indirectes induites par l’activité d’assurance.