Tous les pays signataires de l’Accord de Paris s’étaient engagés à soumettre leur Contribution Déterminée au Niveau National (CDN) aux Nations Unies le 10 février dernier. Ces contributions, qui consacrent les efforts de chaque État pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, sont essentielles pour maintenir l’objectif de limitation du réchauffement mondial à 1,5 °C, y compris, et surtout, le passage par un jalon à -42% de GES en 2030.

Patatras, seuls 9 pays (outre les USA dont la copie n’a évidemment plus de valeur en 2025) ont honoré cette échéance. Ceci est évidemment lié au radical changement de position des US : Attentisme, craintes de perdre des aides, voire réticence pour certains…

Ce manquement collectif, dont on espère le rattrapage courant 2025, pose une question de fond:

Dans un contexte de nécessité vitale pour l’humanité de sécuriser les générations futures en cheminant vers un futur décarboné:

  • La volonté politique et la capacité des pays (ou des États américains) moteurs de la transition réussiront-elles à surpasser les entraves mises, par intérêt, par les pays producteurs d’énergies fossiles (Arabie Saoudite, Russie, USA), pour respecter leurs engagements climatiques?

Avant de rappeler les avantages stratégiques de ces initiatives et donc les motifs d’espoir, revenons sur le contexte:

1. Qu’est-ce qu’une Contribution Déterminée au Niveau National (CDN) ?

L’Accord de Paris, adopté en 2015 lors de la COP21, est un traité international historique visant à lutter contre le changement climatique et à limiter le réchauffement planétaire bien en dessous de 2°C, avec un objectif ambitieux de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Un mécanisme clé de cet accord est la Contribution Déterminée au Niveau National (CDN), qui représente le plan d’action climatique de chaque pays pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et s’adapter au changement climatique.

Les CDN sont soumises par les pays signataires et détaillent des objectifs précis de réduction des émissions, des politiques pour atteindre ces réductions, ainsi que des mesures d’adaptation climatique. Tous les cinq ans, les pays doivent mettre à jour leurs CDN pour refléter une ambition croissante et les nouvelles avancées scientifiques et technologiques en matière de climat. Le cycle actuel des CDN, dont la date butoir était le 10 février 2025, est particulièrement important car il inclut des objectifs s’étendant jusqu’en 2035, définissant ainsi la trajectoire pour la prochaine décennie critique d’action climatique.

Pour plus d’informations sur les CDN, écoutez notre Poscast dédié à ce sujet et disponible sur toutes les plateformes : Les Ateliers du Futur – Agir pour le climat : le rôle clé des Contributions Déterminées au Niveau National (CDN)

2. Quelles sont les obligations des Pays ?

En vertu de l’Accord de Paris, les pays devaient soumettre des CDN mises à jour avant le 10 février 2025. Ces nouvelles contributions devaient être plus ambitieuses que les précédentes, conformément au principe d’« ambition progressive » visant à atteindre les objectifs à long terme de l’accord.

Les obligations comprenaient :

  • La définition de nouveaux objectifs de réduction des émissions de GES d’ici 2035.
  • La mise en place de mesures politiques spécifiques pour atteindre ces réductions.
  • L’intégration de stratégies d’adaptation au changement climatique.
  • La garantie de transparence en rapportant les progrès réalisés et les méthodologies employées.

Pour de nombreux pays, la soumission des CDN mises à jour n’était pas seulement une exigence procédurale, mais un test de leur engagement envers la lutte contre la crise climatique. Étant donné que les derniers rapports du GIEC alertent sur la fenêtre de temps se refermant rapidement pour limiter le réchauffement à 1,5°C, cette série de CDN était perçue comme particulièrement cruciale. L’attente était que toutes les grandes économies soumettent des plans ambitieux et crédibles, réaffirmant ainsi leur dévouement à l’agenda climatique mondial. La prochaine COP au Brésil (10 au 21 novembre) constituera un moment clé pour analyser ces nouveaux engagements, négocier d’éventuels ajustements et renforcer la coopération internationale.

3. Quels Pays ont respecté l’échéance ?

À l’expiration de la date limite du 10 février, seuls 10 pays sur plus d’une centaine avaient soumis leurs CDN mises à jour, sur un total de 100. 

Parmi ceux qui ont respecté l’échéance figuraient les notamment le Brésil, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, la Nouvelle Zélande, et les Émirats Arabes Unis. Hors USA (dont il est fort probable que la CDN transmise en décembre 2024 (réduction de 61–66% en 2035, comparé à 2005) reste lettre morte suite à l’élection de Mr Trump), ces nations représentent seulement environ 17 % des émissions mondiales de CO2. Leur respect du délai témoigne d’une volonté d’engagement dans le cadre climatique mondial.

De grands émetteurs comme la Chine, l’Inde et l’Union européenne n’ont pas transmis leurs nouvelles CDN dans les délais. Première émettrice mondiale, la Chine quant à elle n’a pas communiqué la date à laquelle elle entend sortir du silence.. L’Union Européenne invoque la lourdeur et la lenteur des processus d’approbation interne…

Parmi, les meilleurs de la classe figure le Royaume-Uni qui a officiellement soumis sa CDN le 30 janvier 2025 avec de fortes ambitions : réduction des émissions de 81% en 2035 par rapport à 1990. 

https://www.gov.uk/government/publications/uks-2035-nationally-determined-contribution-ndc-emissions-reduction-target-under-the-paris-agreement

4. Quelles sont les conséquences du retard pris ? 

L’incapacité de la majorité des pays à respecter l’échéance entraîne plusieurs conséquences, tant sur le plan politique qu’environnemental :

  • Affaiblissement de la Gouvernance Climatique Mondiale
    L’Accord de Paris repose sur la conformité volontaire et la responsabilité collective. Lorsque la majorité des pays, y compris des acteurs clés, ne soumettent pas leurs engagements à temps, cela obère la crédibilité de l’accord et affaiblit sa capacité à imposer des actions climatiques plus fortes.
  • Retard de l’action climatique
    Avec une fenêtre de temps qui se referme rapidement pour réduire les émissions, tout retard dans les engagements climatiques se traduit par un report des actions. L’absence de CDN mises à jour signifie que la mise en œuvre des politiques sera retardée, rendant plus difficile l’atteinte des objectifs climatiques de 2035 et 2050.
  • Des plans B a inventer sur plusieurs chantiers de coopération internationale:
    La coopération internationale est clé pour accélérer la sortie des pays moins développés du charbon. Tant au plan financier qu’au plan de la capacité à gérer des projets multidimensionnels de transition. Le retrait des États Unis impose de rechercher des solutions de remplacement, qui commencent à s’organiser:
    • Indonésie: L’allemagne a annoncé le mois dernier se substituer aux USA comme co-leader avec le Japon du projet de transition énergétique dans le cadre du Just Energy Transition Partnership. Le 7 mars, le ministre des finances du Japon a confirmé maintenir son soutien à l’indonésie après le désengagement des US.
    • Afrique du Sud: Les USA ont annoncé supprimer leur aide promise à hauteur de 1 milliard de US$ pour la sortie de la production électrique du charbon. Hier, l’envoyée spécial du Royaume Uni annonçait à Pretoria que la recherche de fonds privés et la réforme des banques multilatérales de développement devait s’accélérer en conséquence. Une occasion manquée: l’argent américain aurait été versé par l’administration de Joe Biden à la RSA si une remise en cause du calendrier de fermeture des centrales à charbon n’était pas intervenue in extremis fin 2024…

5. L’urgence climatique rejoint la sécurité stratégique de tous les pays moteurs pour exiger des CDN robustes dans les plus brefs délais.  

Le chef du climat de l’ONU, Simon Stiell, a souligné que l’accent devait être mis sur la qualité des NDC plutôt que sur la rapidité, suggérant que les pays devraient prendre le temps nécessaire pour élaborer des plans robustes.

La défection de certains renforce en effet la nécessité d’accélérer des autres!

Sur un autre plan stratégique, il est clair que le front pro-fossile est lié en premier lieu à des intérêts financiers extrêmes:

  • Arabie Saoudite: 113 milliards US$ d’exportations de pétrole en 2020 (Aramco investissait entre 40 et 50 milliards US$ dans les énergies fossiles en 2022…),
  • Russie: 72 milliards US$ d’exportation de pétrole en 2020,
  • Les USA, importateurs de pétrole en 2005 en sont désormais exportateurs, comme de GNL.

Accélérer la transition énergétique est donc gagnant à la fois pour l’indépendance des nations engagées et pour affaiblir le front anti-Climat. Parmi les autres bénéfices collatéraux figurent évidemment de moindres capacités d’influence politique à visée expansionniste..

Ce qui milite pour le renforcement et non la dilution du Green Deal!

Le retard des CDN rappelle une évidence : La lutte contre le réchauffement climatique est loin d’être gagnée… car elle peut déranger…

C’est un combat permanent, qui rejoint la sécurité énergétique et donc la souveraineté de toutes les nations. Et qui justifie doublement un engagement sans faille sur tous les fronts.

Pour toutes ces raisons, l’inaction n’est pas une option!