La Commission européenne a annoncé le 26/02 sa proposition de paquet « Omnibus », contenant 3 séries de propositions visant à réduire les exigences de reporting des entreprises en matière de durabilité.
Il est important de garder en tête que le parcours d’adoption de cette nouvelle directive sera long et probablement ponctué de surprises et de challenges, comme pour toute proposition de loi européenne:
- Accord en trilogue,
- Vote au parlement,
- Accord du Conseil.
L’Europe vise un vote par le parlement d’ici la fin de l’année. Il faudra ensuite le transposer dans chaque pays. Pendant ce délai (6 mois ? 2 ans ?) l’ordonnance no 2023-1142 du 6 décembre 2023 publiée au Journal Officiel en France s’applique à toutes les entreprises concernées. Il en va de même pour tous les pays qui ont déjà transposés la CSRD.
Selon Ursula Van der Layen, Omnibus « facilitera la vie de nos entreprises tout en nous assurant de rester fermement sur la voie de nos objectifs de décarbonisation. Est-ce réaliste ?
Omnibus abaisserait les impacts favorables de la CSRD
Omnibus prévoit en effet principalement :
- Le maintien de l’approche dite « double matérialité » incluant l’évaluation de l’impact de l’entreprise sur son environnement,
- De réduire le champ d’application des sociétés soumises à la CSRD en élevant le seuil d’application à 1000 salariés au lieu de 250, et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros ou un bilan dépassant 25 millions (les seuils actuels de la CS3D), 80 % des entreprises seront ainsi exclues du champ d’application de la CSRD,
- De reporter de 2 ans les obligations de reporting pour les entreprises de la 2e vague (grandes entreprises non déjà soumises à la NFRD) et de la 3ème vague (PME cotées, établissements de crédit de petite taille et non complexes, et entreprises captives d’assurance et de réassurance),
- La frontière de la chaîne de valeur serait étendue à toutes les entités qui n’entrent pas actuellement dans le champ d’application de la directive CSRD. En matière d’extra-territorialité, le plancher de chiffre d’affaires pour les groupes situés en dehors de l’UE et soumis à l’obligation de reporting au niveau du groupe passerait de €150 millions générés dans l’UE à €450 millions,
- De simplifier les ESRS et les datapoints demandés. Pour les PME non soumises à la CSRD, la Commission diffuserait par acte délégué une norme pour utilisation volontaire basée sur la norme VSME de l’EFRAG,
- D’abandonner les normes sectorielles,
- Enfin, l’assurance limitée demandée aux CAC ne serait pas transformée à terme en assurance raisonnable,
Disons le: L’essentiel est préservé: Double matérialité, application aux grandes entreprises: Ces entreprises restent tenues de publier leur plan de décarbonation.
Mais les effets pervers de cette régression sont prévisibles:
- L’assurance limitée serait un audit sans commune mesure avec les travaux d’assurance raisonnable!
- La grande majorité des PME/ETI qui ne seraient plus soumises (80% du périmètre) n’aurait plus autant d’incitation à la décarbonation !
Si leurs parties prenantes en sont d’accord, Omnibus prévoit qu’elles pourraient s’abriter derrière la norme volontaire VSME, pour limiter les informations produite à la liste d’indicateurs de cette norme. La VSME (Voluntary Sustainability Reporting Standard for non-listed micro-, small-, and medium-sized enterprises) a été élaborée par l’EFRAG comme cadre de reporting aux PME non côtées, qui ne rentraient pas dans les critères de taille de la CSRD et souhaitaient quand même volontairement établir un reporting de durabilité pour communiquer avec leurs parties prenantes.
Côté décarbonation, la VSME exige bien bien la publication des objectifs de décarbonation scope 1, 2 et 3 ainsi que la description et le chiffrage des leviers de décarbonation. Mais, c’est oublier les autres vertus de la CSRD : Mettre en place une stratégie de décarbonation peut conduire à réviser les process, les produits ou même la stratégie d’une entreprise. En effet, le scope 3 représente majoritairement plus de 80% de l’ensemble des émissions de GES des entreprises. Donc, contrairement aux scopes 1 et 2 qui nécessitent pour la décarbonation, d’agir sur les sources et consommations d’énergie, la réduction du scope 3 concerne notamment :
- L’éco-conception des produits, en collaboration avec les fournisseurs,
- La sobriété des ressources,
- L’optimisation des chaines logistiques,
- La collaboration avec les clients pour modifier les usages,
- La circularité des process,
- …..
La liste est longue et structurante pour l’entreprise. Cela s’appelle développer un nouveau business model plus robuste, mieux adapté à un monde plus restreint en ressources et soumis aux aléas climatiques. La CSRD, avec la double matérialité, offre une méthodologie très pertinente pour guider ce genre de réflexion stratégique. En priver les PME/ETI ne va pas les aider à se mettre sur une trajectoire de décarbonation.
Omnibus abaisserait les impacts favorables de la CS3D
Omnibus prévoit le report de l’application de la directive CSDDD d’un an pour les grandes entreprises à 2028, mais aussi :
- L’exigence d’une diligence raisonnable complète uniquement au niveau des fournisseurs et sous-traitants directs, sauf si l’entreprise dispose d’informations suggérant que des impacts négatifs se sont produits ou pourraient se produire plus loin dans la chaîne de valeur,
- La réduction de la fréquence de l’évaluation d’impact négatif d’un an à tous les 5 ans,
- La suspension et non plus annulation les contrats avec les fournisseurs non conformes,
- La suppression de l’harmonisation européennes sur les règles de responsabilité civile des entreprises et de droit de recours des syndicats et ONG en cas de non-conformité,
- Le maintien de l’obligation d’élaborer des plans de transition climatique mais la suppression de l’obligation d elles mettre en ouvre, donc des sanctions attachées.
En synthèse, si les entreprises ne se donnent pas les moyens de mettre en place les plans de décarbonation et que ceux-ci ne sont pas réalisés, la directive ne prévoit rien. Par ailleurs, ce sont les droits nationaux qui règleront les litiges avec des victimes ou la société civile, ce qui annonce un grand mercato pour rejoindre les pays les plus laxistes en Europe!
Ce sont à l’évidence ces dispositions qui obèreraient le plus les ambitions européennes en matière de décarbonation : Sans terrain de jeu équilibré, donc sans contraintes fortes pour la plupart des entreprises, pas de mouvement collectif pour faciliter la décarbonation européenne. En effet les investissements verts des uns peuvent s’avérer handicapants au plan concurrentiel, don contre-productifs et arbitrés.
Omnibus abaisserait les impacts favorables de la Taxonomie
La taxonomie ne serait obligatoire que pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 450 M€ et les points de données requis seraient réduits de 70%.
Comment les établissements financiers vont-ils faire leur taxonomie sans les données des entreprises ?
Sans chiffres nous sommes moins que des chimpanzés et faire disparaître les thermomètres permet de croire à l’absence de fièvre!…
Enlever des instruments de mesure, de reporting et des obligations de moyens restaurerait l’opacité, maintiendrait l’insuffisance d’action, comme constaté depuis 2015, année de signature de l’Accord de Paris.
En Conclusion, cette proposition paquet Omnibus nous parait doublement dangereuse :
En premier lieu nous avons souligné combien la souveraineté européenne passait pas son indépendance énergétique. La décarbonation de notre économie rejoint exactement cet objectif. Retarder l’électrification des industries, des services et des ménages et retarder le passage aux ENR nous maintient dans une situation de faiblesse politique et de désavantage concurrentiel. L’inflation importée des énergies fossiles suite à l’agression russe en Ukraine nous à couté cher et enrichit les anti-climat!
En second lieu, l’Europe est en train de rater une occasion historique de prendre de l’avance dans un modèle de croissance décarboné, le seul durable à long terme et qu’il faudra inéluctablement adopter dans les décennies à venir. La Chine travaille avec acharnement pour prendre de l’avance et nos entreprises doivent investir pour réussir leur mutation.
La question pour l’Europe est la même que pour une entreprise : Faut-il protéger l’héritage et le court terme ou viser une position plus adaptée à long terme qui assure notre durabilité et corresponde à nos valeurs vis à vis des générations futures?
La réponse est évidente…