Plus de 3000 milliards de dollars d’investissements sur 10 ans aux États Unis pour prendre le leadership mondial de l’électricité Verte en volume et en compétitivité!
Telles sont les dernières estimations des analystes de la loi « sismique » votée l’été dernier par le Congrès américain et promulguée le 16 août 2022 par le Président Biden.
Entre la thèse de la décroissance et celle de l’investissement offensif pour verdir l’offre et la demande, les États Unis ont clairement choisi: La stratégie visant une nouvelle suprématie dans les énergies vertes est lancée, avec des moyens qui inquiètent les autres économies développées…
L’accouchement de la loi Inflation Réduction Act (IRA) fut pourtant complexe: La majorité simple requise au sénat exigeait le vote du sénateur démocrate Joe Manchin de West Virginia, opposé à un alourdissement du budget fédéral et à toute perte de souveraineté des US. Il fallut toute l’influence de Lawrence Summers pour alléger ses craintes sur un creusement du déficit et celle d’un certain Bill Gates pour valoriser les effets favorables sur l’investissement et l’emploi et, in fine, emporter son adhésion.
Or les estimations initiales des impacts de l’IRA sont à présent largement dépassées !
En effet, mi 2022, le Congressional Budget Office estimait à 370 milliards de $ (ou $bn) le coût sur 10 ans pour l’Etat fédéral des volets Climat et Sécurité Énergétique de cette loi. Comme pour tout type de subvention, un effet multiplicateur devait booster les investissements privés associés à cet effort.
Mais cette loi ne prévoit formellement aucun plafond pour 2/3 de ses domaines d’intervention qui incluent:
- Des crédits d’impôt renforcés et pérennisés pour les productions d’électricité renouvelable,
- Des crédits d’impôt pour l’énergie nucléaire, l’hydrogène verte,
- Des incitations pour le véhicule électrique, la rénovation énergétique des logements,
- Des aides à la décarbonation de l’industrie, à la maitrise des fuites de méthane,
- Des aides pour la séquestration du CO2,
- Des aides au développement de l’agriculture éco-responsable, et à la protection de la forêt,
- Des aides pour la réduction des îlots urbains de chaleur urbains et la protection de l’habitat côtier,
- 27 milliards de US$ pour la création d’une National Green Bank qui financera les petites Green Banks régionales,
- Des pouvoirs accrus pour l’agence fédérale de l’environnement d’agir plus efficacement au plan de la décarbonation…
Au plan de son impact pour le Climat, l’incertitude réside dans 2 grandes dimensions:
- L’appétit d’investissements que cette loi déclenchera, outre ceux déjà prévus antérieurement,
- La capacité des opérateurs et l’octroi par les Etats des permis nécessaires, notamment pour les infrastructure de production énergétique et de transport de l’électricité verte sur un territoire aussi étendu
Osant s’aventurer, le Rhodium Group a estimé que la trajectoire de décarbonation des US serait bonifiée à horizon 2030 de 7 à 8 points de réduction supplémentaires des émissions par rapport au niveau de 2005. Mais avec un atterrissage estimé entre -32% et -42%, le pays n’atteindrait pas l’engagement de -50% du Président Biden.
Le Projet REPEAT de l’Université de Princeton estimait, lui, en août 2022 l’atterrissage à -40% soit toujours éloigné de cet objectif essentiel pour les US mais aussi pour l’humanité, les US étant le 2ème émetteur mondial derrière la Chine.
Au plan des investissements, chaque dollar de subvention draine 2 à 3 dollars d’investissements privés en bonifiant le retour sur capital investi.
S’agissant de la National Green Bank, un rapport de 2021 de l’American Green Bank Consortium et de la Coalition for Green Capital, chaque US$ injecté dans des projets d’énergie verte par des Green Banks locales a même attiré 3,7 US$ d’investissement privé dans son sillage.
Ce contexte incertain et le succès croissant de ces dispositifs expliquent la révision à la hausse des estimations émanant des grandes banques d’investissements qui en scrutent les opportunités :
- Selon Crédit Suisse en 2022, le coût de l’IRA pour l’Etat fédéral dépassera 800 milliards $, soit le double des estimations initiales, et l’investissement total dans les énergies vertes et pour le Climat dépasserait 1.700 milliards $. Un des bénéfices essentiels est que les US se doteront ainsi du coût de l’électricité verte le plus bas au monde (5$ par megawatt-heure), source de compétitivité pour toute leur industrie, évidemment…
- Une nouvelle étude de Goldman Sachs de mars 2023 estime le coût pour l’Etat fédéral à 1.200 milliards $, 3 fois l’estimation initiale et la somme des investissements atteindrait 3.000 milliards $ d’ici 2032, 11.000 milliards $ d’ici 2050.
Ceci rejoint l’analyse de l’Université de Princeton:
Comme l’analyse le FMI, le risque d’une aussi belle loi est de déclencher une guerre commerciale entre les US et ses partenaires. En effet, les projets d’investissements peuvent émaner non seulement d’opérateurs historiques américains, mais aussi de nouveaux entrants, aguichés par ces dispositions parfois ultra favorables. D’où les craintes de délocalisation aux US d’autres économies européennes ou asiatiques évidemment.
Une des raisons d’être de cette loi fut d’ailleurs de résister à la concurrence chinoise qui investit massivement dans l’électricité verte y compris son stockage!
L’Europe, très respectueuse des règles de l’OMC, s’est basée jusqu’à présent sur une logique de vérité des prix, assumant pleinement l’inflation inévitablement induite par les investissements massifs de tous les secteurs d’activité pour se décarboner. Sa logique, dans le cadre du marché mondial, est simplement de la compenser si besoin par la fameuse taxe carbone sur les importations de produits fabriqués à base d’énergie carbonée. Nous avons déjà souligné ce grand écart de philosophie dans notre blog!
Ces politiques publiques tant américaine que chinoise visant à écraser par les subventions d’Etat le cout de l’énergie verte, changent les lois du marché en altérant la formation des prix. Le Japon, la Corée, le Canada et l’Inde sont également entrés dans la course: Le Japon a ainsi décidé de financer son plan de transition verte de 140 milliards d’€ par des obligations vertes. La corrélation entre décarbonation et inflation n’existant plus chez nos grands partenaires/adversaires commerciaux, la position européenne ne parait plus tenable.
C’est le sujet « électrique » sur lequel doit plancher la Commission! Le contexte de guerre en Ukraine excluant une plainte contre les américains devant l’OMC, la réponse est forcément un mélange de négociations et de mesures régionales. La Net Zero Industry Act est ainsi en réflexion, ainsi qu’une relaxation provisoire des aides accordées par les Etats membres!
Au fait, cette loi IRA votée par les seuls élus Démocrates dans un grand pays ultra polarisé n’est elle pas susceptible de disparaître si les Républicains revenaient aux commandes? La réponse est sans doute négative, heureusement pour le climat: Selon les analyses du Crédit Suisse, les principaux états bénéficiaires de l’IRA en terme d’investissements et d’emplois sont, en effet, des états Républicains!