Pour réduire les émissions de CO2 de l’industrie et du transport lourd, une des solutions indispensables d’après l’Agence Internationale de l’Energie est le développement massif de l’utilisation d’hydrogène « bas-carbone ». Cette définition vise  l’hydrogène dont l’empreinte carbone est inférieure à 3kg CO2eq par kilogramme d’hydrogène.

Jusqu’à récemment, on pensait que l’hydrogène gazeux (dihydrogène H2) n’existe pas en quantités significatives à l’état naturel sur Terre. Tant que les énergies fossiles étaient accessibles à faible cout et que la réduction des émissions de gaz à effet n’était pas considérée comme une priorité, ce consensus n’a pas été remis en question. Il était plus facile de produire les 70 millions de tonnes d’hydrogène par an dont les industriels ont besoin à l’échelle mondiale (pour la chimie et la sidérurgie notamment) à partir d’hydrocarbures fossiles que de lancer des prospections hasardeuses d’hydrogène naturel.

Mais aujourd’hui, la donne a changé : les besoins en hydrogène bas-carbone, notamment pour décarboner l’industrie lourde et les transport (bus, camions, bateaux…) sont considérables, et les moyens de le produire (électrolyseurs associés à de la production d’électricité décarbonée ou reformage d’hydrocarbures fossiles associé à la capture et du stockage de CO2) demandent des investissements considérables. Alors que ces investissements massifs s’organisent d’ores et déjà à l’échelle mondiale, dopés par des subventions généreuses, la question de l’existence de ressources naturelles d’hydrogène, exploitables à faible cout, prend une nouvelle dimension.

Point de la situation (*).

D’abord, pourquoi les scientifiques pensaient-ils que les réserves de dihydrogène moléculaire sur Terre sont minimes ? La raison principale est que ce gaz est très léger et très réactif, et qu’aucune structure géologique n’est assez étanche ni inerte chimiquement pour le séquestrer à l’échelle de plusieurs centaines de milliers d’années comme c’est le cas pour les ressources pétrolifères ou gazières. 

Mais cette certitude a été une première fois ébranlée avec la découverte fortuite d’un gisement d’hydrogène au Mali en 1987, à seulement 107 mètres de profondeur, par une entreprise qui cherchait de l’eau. L’analyse du gaz inflammable de ce gisement a rapidement montré qu’il s’agissait d’hydrogène pur à 98%. Bien qu’à l’époque cela n’intéressait personne, l’entrepreneur s’est lancé dans un pari visionnaire : exploiter cet hydrogène. En 2012, il parvient à alimenter le village de Bourakébougou en électricité par combustion directe de l’hydrogène. Le village fonctionne toujours à l’hydrogène aujourd’hui mais la méthode a changé : la combustion directe a été remplacée par une pile à combustible.

Depuis, les scientifiques se sont demandé comment un tel gisement avait pu se former, et bien sûr, s’il en existait ailleurs. Et les premières réponses ouvrent des perspectives particulièrement intéressantes, même si plusieurs incertitudes de taille subsistent. 

Une synthèse récente de la littérature scientifique (**) combinant des données et des idées de près de cinq cents publications montre de manière concluante que l’hydrogène est beaucoup plus abondant dans la nature qu’on ne le pensait auparavant. L’hydrogène a été détecté à des concentrations élevées dans tous les types de milieux géologiques : sédiments, roches métamorphiques et ignées, socle cristallin, gisements de minéraux et mines de charbon, réservoirs de pétrole et de gaz et dans les aquifères. 

La clé de l’explication de la présence d’hydrogène en sous-sol est qu’il est produit naturellement de manière continue. Les mécanismes de formation sont multiples. Celui qui est considéré comme la source principale d’hydrogène naturel est la réaction de l’eau avec les roches ultrabasiques (« serpentinisation »). La serpentinisation est un processus métamorphique dans lequel des roches très pauvres en silice (SiO2) et contenant du fer sont oxydées par l’eau en donnant la serpentine (une famille de minéraux du groupe des silicates) et en produisant de l’hydrogène. Ce processus naturel est aujourd’hui bien connu et a donné lieu à de nombreuses publications. D’autres mécanismes produisent de l’hydrogène en continu, notamment l’activité bactérienne en sous-sol, le dégazage du manteau terrestre, et l’électrolyse spontanée en présence de roches radioactives. 

Il en résulte des émissions d’hydrogène naturel un peu partout sur la planète. On en trouve dans les sources hydrothermales (géothermie), dans les chaînes de montagnes comme les Alpes et les Pyrénées ; on constate également des émanations dans les roches continentales riches en fer comme en Australie, en Namibie, au Brésil, et autour des mines d’uranium.

Code couleur : Rose: H2   Vert: MÉTHANE ABIOTIQUE DÉRIVÉ DE H2 

Pour que cet hydrogène soit exploitable industriellement, donc en quantités importantes, il faut soit que la vitesse de formation naturelle soit élevée, soit que l’hydrogène formé s’accumule, ce qui suppose l’existence de chemins de migration du gaz en sous-sol vers un réservoir avec un « couvercle géologique » naturel. Où et comment chercher ce type de conditions ?

Pour répondre à cette question, de nombreux pays engagent des études et travaux de prospection significatifs : au Mali, la société Hydroma SA étend l’exploitation du premier gisement à 20 nouveaux puits ; aux USA, la société Natural Hydrogen Energy LLC a fait le premier forage d’exploration d’hydrogène naturel en 2019 et travaille actuellement sur le lancement du site pilote et sur l’expansion du projet ;  au Brésil, la société GEO4U et la filiale locale d’ENGIE suivent les échappements d’hydrogène dans un bassin du centre du pays avec pour but d’établir la validité d’une exploitation de ces émanations ; en France, la société 45-8 Energy spécialisée dans la détection de l’hélium dans le sous-sol élargit ses recherches à l’hydrogène ; à Djibouti : ODDEG étudie la  coproduction géothermie et H2 ; en Espagne, un forage pétrolier de l’Empresa Nacional de Petroleos de Aragon a mis en évidence un gisement souterrain d’hydrogène dont les possibilités d’exploitation sont étudiées par les société Helios  & Ascent. Tous ces pays ont d’ailleurs mis à jour récemment leur droit minier afin de donner un cadre juridique à ces nouvelles activités. 

L’objectifs de tous ces travaux de recherche et de prospection est in fine de répondre à au moins trois questions majeures : à quelle vitesse l’hydrogène naturel se forme-t-il ? Peut-il s’accumuler dans des configurations géologiques favorables et en quelles quantités ? Et comment détecter des gisements intéressants ? 

En conclusion, sans être bien sûr une solution miracle, l’hydrogène naturel pourrait devenir à terme un vrai « game changer » pour la Transition Energétique, soit à l’échelle locale, soit à l’échelle mondiale en fonction des quantités qui se révèleront exploitables industriellement. Si cette ressource est extraite de manière durable et respectueuse de l’environnement, elle constituera une nouvelle énergie propre qui se renouvèle en permanence, accessible par des technologies d’extraction matures parfaitement maitrisées par les compagnies pétrolières et gazières.  Mais de nombreuses questions restent à élucider avant de pouvoir déterminer les potentialités réelles de cette nouvelle filière, et les travaux de R&D fondamentale et d’exploration concrète n’ont démarré sérieusement qu’il y a à peine 5 ans. On est encore au tout début de cette nouvelle aventure !

(*) Sources : 

– Fiche France Hydrogène n°3.4 « H2 naturel – rev mars 2021

– Début de l’exploration-production d’hydrogène naturel : une nouvelle ère pour l’hydrogène ? (Isabelle Moretti de l’Académie des Technologies, Août 2022)

(**) The Occurrence and Geoscience of Natural Hydrogen: A Comprehensive Review ;  V. Zgonnik, Earth-Science Reviews, 2020, 203, art. 103140   https://doi.org/10.1016/j.earscirev.2020.103140