Dans la foulée du vote unanime des 14 membres de l’ISS Board, la fondation IFRS vient de publier ses 2 premières normes de reporting extra-financier S1 et S2 applicables aux entreprises le 01/01/2024 – sous réserve d’adoption par les pays ou régions à travers le monde.

La norme S1 contient les principes généraux de ces publications sur la durabilité, tandis que la norme S2 vise le reporting en lien avec le Climat.

Rembobinons le film qui a conduit à ces livrables:

Avril 2009: Suite à la faillite de Lehman Brothers et au séisme qui secoue les institutions bancaires dans le monde, le G20 décide de créer le Financial Stabilité Board qui a pour mission d’édicter des bonnes pratiques de gestion des risques permettant aux banques centrales de sécuriser le secteur financier. Sa présidence est confiée à un certain Mario Draghi.

Décembre 2015: Mark Carney, président de la Bank of England, ayant été confronté à l’effondrement des grands exploitants de charbon au Royaume Uni, souligne le risque lié aux transitions énergétiques et écologiques pour les entreprises et par ricochet sur leurs banquiers et investisseurs. Devenu président du FSB, il crée une task force, la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosure) chargée d’émettre des recommandations pour une plus grande transparence sur les risques liés au Climat.

Juin 2017: La TCFD, présidée par Mickael Bloomberg, remet ses recommandations pour renforcer la transparence des entreprises au regard des 2 types de risques auquel le Climat les expose – et par ricochet leurs banquiers et actionnaires:

  • Le risque physique de dommages,
  • Le risque de transition, ou risque économique, lié au marché ou aux investissements que l’entreprise doit faire pour sa décarbonation. 

2020: La Fondation IFRS décide d’ouvrir un chantier sur le reporting extra-financier des entreprises, en capitalisant sur les travaux antérieurs de divers organismes: Elle choisit de privilégier 3 d’entre eux la TCFD, le GRI et le SASB.

Décembre 2021: Emmanuel Faber est nommé président de l’ISS Board ( International Sustainability Standard Board), comité chargé de valider les futures normes de reporting extra-financier.

Mars 2022: L’ISSB publie son 1er projet de normes de reporting S1 (principes généraux) et S2 (Climat). Nous – Les Ateliers du Futur – remettons nos commentaires très négatifs en juillet 2022: Pour l’essentiel, nous déplorons la vision à sens unique “risques découlant du changement climatique” de ce reporting. L’impact des entreprises sur le climat est faiblement abordé. Alors que l’avenir de l’Humanité est en jeu et que, accessoirement, les Asset Managers et Owners sont désireux de comprendre les stratégies climats des entreprises qu’ils accompagnent!!!

Fin 2022, des progrès sont réalisés par l’ISSB qui décide

  • de faire décrire plus finement les objectifs de décarbonation, en lien avec celles qui sont imposées par la règlementation régionale ou mondiale (09/22),
  • d’abandonner comme critère de matérialité la seule auto-évaluation de l’impact sur la valeur de l’entreprise, pour basculer sur le critère de son importance aux yeux des utilisateurs du reporting extra-financier.

2023: De multiples échanges ont lieu avec plusieurs régulateurs et normalisateurs dont la Commission Européenne et l’EFRAG. l’Europe maintient, elle, ses exigences de reporting liés aux risques causés par l’entreprise au Climat!

Juin 2023: Approbation et publication par l’ISSB de ces versions finales qui, hélas, privilégient toujours la vision “égoïste” de l’entreprise et de ses financeurs/investisseurs. 

Même si le besoin de protection du système financier mondial contre un risque systémique est louable, on ne peut que regretter une double myopie:

  • L’Humanité doit mobiliser toutes ses ressources pour gagner le défi historique de la décarbonation. Les entreprises sont les 1ères actrices dans ce domaine!
  • Les grands financiers/investisseurs ont, par obligation ou par engagement, besoin d’une transparence maximale sur ces trajectoires de décarbonation des entreprises qui sont leurs clientes. 

Notre avis sur ces nouvelles normes, spécialement en ce qui concerne le Climat, est donc clairement négatif:

4 GRANDS REGRETS:

  • des exigences de reporting essentiellement orientées risques subis par l’entreprise du fait du changement climatique. Le grand oublié de leur finalité est donc l’impact de l’Entreprise sur le Climat.
  • Une trop grande souplesse, source d’aléa, est laissée à l’entreprise sur l’évaluation de l’importance (matérialité) de son risque lié au Climat. Néanmoins, le regard des banquiers, investisseurs devient un critère de matérialité du risque par le biais du cout d’accès aux ressources financières!
  • Objectifs de baisse des émissions: La formulation des exigences est laxiste, pas assez prescriptive. Par exemple:
    • Aucune exigence en valeur absolue,
    • Aucun scope imposé,
    • Aucun horizon 2030, 2050 imposé!!!
  • Enfin pas de demande d’articulation précise entre plans et objectifs de décarbonation.

DES SATISFACTIONS NEANMOINS:

  • Pour évaluer le caractère significatif ou non du risque Climat pour l’entreprise: Un abandon bienvenu du laxisme initial qui prévoyait une simple auto-évaluation floue. Ceci a été remplacé par un examen de l’importance de ce sujet pour les “Premiers utilisateurs” du reporting y compris les fonds à impact donc. Avec une précision d’importance: “An item of information could reasonably be expected to influence primary users’ decisions regardless of the magnitude of the potential effects of the future event or the timing of that event. For example, this might happen if information about a particular sustainability-related risk or opportunity is highly scrutinised by primary users of an entity’s general purpose financial reports.”

Et, si le risque Climat est apprécié par l’entreprise comme significatif,

  • Une exigence affirmée sur le plan de transition, bien qu’assez peu prescriptive, contrairement à l’EFRAG,
  • Des exigences fortes sur les impacts financiers: Financial position (bilan) et financial performance (résultats)
  • Des exigence fortes sur la gouvernance.

Les contraintes du cadre de la TCFD, soutenus depuis la faillite de Lehman Brothers par la Fondation IFRS, ont donc conduit à un dispositif déséquilibré par une jambe Impact triplement fragile: Sur l’appréciation de la matérialité, sur les objectifs de baisse des émissions, sur la cohérence objectifs/plans d’action.

L’opportunité historique de mobiliser fortement est donc manquée et le risque de ces normes est celui d’une obsolescence rapide. L’Europe garde donc son leadership sur le reporting de l’Impact!

L’efficacité du dispositif hors d’Europe dépend désormais surtout des pressions externes parmi lesquelles:

  • La vigilance des auditeurs et contrôleurs indépendants qui certifieront ces reportings,
  • l’exigence des banquiers, asset managers et investisseurs,
  • L’exigence des clients corporate surtout mais aussi retail,
  • Les ONG comme les Ateliers du Futur qui vont devoir investir pour renforcer leurs palmarès des meilleures trajectoires de décarbonation!

Alea jacta est…