Après 2 mois d’approfondissement des quelques 1000 pages en anglais du projet de norme de ISS (International Sustainability Standards), Les Ateliers du Futur livrent leur verdict:

Peut beaucoup mieux faire!

L’intention de prévenir le greenwashing est louable, mais les voies et moyens sont insuffisants à nos yeux à ce stade.

Positivons tout d’abord en reconnaissant la qualité du travail réalisé depuis un an:

En mars 2021, sous la pression de multiples ONG et think tanks – anglo saxons, aucun français alors à notre connaissance, la Fondation IFRS décide enfin d’accorder une place aussi importante au reporting extra-financier qu’à son ainé, le reporting financier international, régi par les IAS (International Accounting Standards). Toutes les entreprises de taille significative adoptent ce référentiel IAS qui permet comparabilité et fiabilité, et facilite donc l’accès facilité aux banques et investisseurs institutionnels pour financer leur croissance.

La Fondation IFRS crée donc en mars 2021 un Technical Readiness Working Group chargé de préparer un prototype de cette norme internationale avec une orientation claire: S’appuyer sur les “building blocks” existants et ne pas tout réinventer. De quelles briques dispose-t-il alors? Ce sont plutôt des piliers:

  • La task force TCFD (Task Force on Climate Financial Disclosure), créée par le FSB et dirigée par Michael Bloomberg, a émis en 2017 des recommandations largement reprises – même par la Commission Européenne – visant à clarifier l’exposition au Climat de l’entreprise et par ricochet de ses investisseurs et prêteurs: Quels sont risques sur la valeur et sur la solidité de l’entreprise classés en impacts physiques d’une part, de transition (économiques) d’autre part, que fait naitre le changement climatique? Sont également demandées les opportunités de business pouvant résulter des évolutions de l’environnement pour prévenir le changement climatique ou aider les clients à s’adapter.
  • Plusieurs think tanks et organisations (CDP, CDSB, GRI, IIRC, SASB) ont émis de multiples recommandations de publication soit transverses, soit spécifiques à chaque secteur d’activité en 2020 et antérieurement. Le SASB, par exemple, a élaboré depuis 2011 un ensemble de règles de reporting sur le développement durable visant à rendre transparentes les pratiques des entreprises, réparties en 77 secteurs d’activité.

C’est donc par convergence de ces piliers que le TRWG construit son prototype de reporting extra-financier, ce qui amène la Fondation IFRS à confirmer lors de la COP 26 le lancement de l’initiative ISS (International Sustainability Standards). Emmanuel Faber est porté à la présidence de son Board en janvier 2022. Qui mieux qu’un français pour parler à l’Europe qui a, au même moment, le même ouvrage sur son métier?

Les Ateliers du Futur transmettent dès début janvier à Emmanuel Faber leur projet de norme de reporting orienté Climat: le Net Climate Liability framework, qui vise à sécuriser les initiatives stratégiques de décarbonation en les encadrant dans un dispositif solide de gestion de projet.

Conscient elle aussi que l’urgence climatique est première – et aiguillonné par l’EFRAG, l’ISS Board obtient début 2022 de la Fondation IFRS une accélération de la procédure contradictoire sur son projet de reporting Climat: Avant même la complétion du conseil de l’ISS, Emmanuel Faber et son équipe sont autorisés à publier le 31 mars pour commentaires les Exposure Drafts concernant:

  • Le cadre général du reporting ISS,
  • Le volet spécifique sur le Climat.

Au global donc, un socle anglo-saxon solide et une volonté évidente de bien prendre en compte cette urgence climatique.

Il nous faut à présent challenger: Ce projet “Clé de voute” est gravement fragilisé par au moins 3 défauts de conception:

  1. Une absence de prise en compte de l’objectif majeur de l’humanité – réduire nos Émissions de GES, dans les grands objectifs de ce reporting. La Fondation IFRS aurait elle manqué l’Accord de Paris? De ce fait aucune exigence générale contraignante n’est prévue sur la trajectoire d’émissions et donc de décarbonation à 2030 de ces entreprises faisant appel au marché! Si l’entreprise déclare s’être fixé des objectifs de décarbonation, elle doit bien sur les publier mais aucun périmètre de projection (Scope 1, 2 et 3 amont par exemple) n’est impératif.
  2. Une exigence d’Auto Diagnostic à nos yeux naïve donc insuffisante et dangereuse: Nulle exigence contraignante donc d’élaborer et de publier les caractéristiques d’une trajectoire de décarbonation à 2030 et 2050 dans ce projet de norme de l’ISS (sauf si des objectifs clairs ont été définis), contrairement à nos exigences NCL. L’exigence première, par contre, est celle d’un auto-diagnostic par l’entreprise elle-même de ses risques et opportunités liés au Climat. Autrement dit, pas de décarbonation si l’exposition de l’entreprise lui parait faible… Veut on vraiment être aussi laxiste?
  3. Subsidiairement, un risque de dispersion nuisible au Climat: Un reporting Climat ambitieux exige une stratégie Climat sérieuse. Les expériences professionnelles de décarbonation des membres des ADF sont confortées par nos échanges au sein du NCL Forum début 2022 avec 4 grands cabinets internationaux, experts dans l’accompagnement des entreprises: Lancer une initiative stratégique de décarbonation exige entre 12 et 18 mois de dur labeur, avec, le plus souvent, un accompagnement pour la gestion du projet et bâtir un système de contrôle de gestion des émissions actuelles et futures. Ajouter à cette charge celle de documenter d’autres exigences RSE cannibaliserait des ressources précieuses pour élaborer une stratégie climat éclairée, au moins durant les 24 premiers mois de mise en place de ce programme Climat. Et l’urgence climatique dicte clairement l’ordre des priorités.

L’ISS Board est, hélas, depuis sa constitution, prisonnier des recommandations de la TCFD qui focalise sur les risques encourus et non sur l’impact: Eclairer les investisseurs sur les risques climatiques auxquels sont exposés la valeur de l’entreprise et ses cash flows.

Nous sommes clairement en désaccord, d’où la norme NCL des Ateliers du Futur: Parce que c’est important pour le Climat chaque entreprise doit élaborer et publier sa trajectoire d’émissions de GES à 2030 et 2050!

De surcroit, cette procédure d’auto-diagnostic serait à l’évidence peu fiable, car un tel exercice exige une expertise et une maturité que peu d’entreprises possèdent réellement:

  • La capacité à modéliser des scénarios stochastiques d’évolution du climat pour qualifier les moyennes et pics de risque possibles…
  • la capacité à chiffrer les conséquences en terme de risque direct, physique et de perte d’exploitation pour l’entreprise, ses fournisseurs…
  • la capacité à anticiper les évolutions de comportement des consommateurs et leur impact sur la demande donc sur les ventes, les marges
  • la capacité à anticiper les évolutions de comportement de la Société, ONG, pouvoirs publics, l’irruption de procès climats…
  • Et même la capacité à modéliser l’accès plus ou moins facile de l’entreprise aux marchés de capitaux, pour financer sa croissance, justement en fonction de sa politique Climat qui sera de plus en plus scrutée…

S’y ajouteraient évidemment d’énormes conflits d’intérêts au sein de l’entreprise, du fait de la concurrence des horizons entre des managers et investisseurs de court/moyen terme, et des trajectoires de risque de long terme!…

Bref un tel auto-diagnostic est juste une illusion dangereuse qui lézarde cette “clé de voute” si importante.

Les Entreprises sont la bien clé de notre voyage vers la décarbonation: Elles maitrisent directement l’essentiel des émissions de GES, et elles disposent des savoir-faire et pouvoir-faire indispensables pour décarboner les biens et services que nous consommons.

Les Ateliers du Futur sont donc probablement la première ONG française à adresser à l’ISS Board ses commentaires sur ces 1000 pages de projet. Nous demandons instamment:

  • L’exigence impérative de trajectoires d’émissions de GES à horizons 2030 et 2050,
  • Les plans de décarbonation, moyens et gouvernance prévus,
  • le report de 24 mois au démarrage des autres exigences qui risqueraient de cannibaliser les ressources précieuses pour bien élaborer et lancer ces trajectoire clé pour notre avenir.

Notre responsabilité vis-à-vis des générations futures nous permet-elle de renoncer à cette opportunité de hisser les entreprises au plus haut niveau d’efficacité dans la décarbonation en maximisant la transparence, Honorables Membres de l’ISS Board?