Dans le cadre du plan européen Fit for 55, le Parlement et le Conseil se sont accordés ce mardi sur les contours du futur Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières prévoyant:
- La suppression des droits à émettre des entreprises industrielles en Europe,
- L’instauration d’une taxe sur les émissions transportées par nos importations,
L’Europe renforce ainsi le 2e levier le plus puissant vis à vis des entreprises après la norme opérative, celui de l’intéressement financier.
La réaction logique des entreprises sera de minimiser cette charge annoncée grâce à de massifs investissements de décarbonation vertueux. La récente étude menée par Trendeo avec Fives, 1er groupe français de construction d’équipements industriels français révèle d’ailleurs que les plans d’investissements des industriels français pour 2023:
- Sont globalement en baisse de 10%,
- Comportent une majorité de remplacements en vue de la décarbonation.
Une nouvelle plutôt bonne pour le Climat!
C’est évidemment ici que l’inflation va trouver sa nouvelle source:
- Le remplacement d’équipements avant leur fin de vie entraîne une charge d’amortissement exceptionnelle les concernant,
- Les nouveaux équipements, de technologie plus récente (pour chauffer à l’hydrogène ou à l’électricité par exemple) sont souvent unitairement plus coûteux et entraînent donc une charge d’amortissements récurrents supérieure à celle des précédents matériels.
Toute hausse des prix de revient (matériels et énergie verte) doit logiquement se répercuter sur les prix de vente.
D’où une inflation programmée que plusieurs études dont une excellente de McKinsey, estime entre +30% et +45% pour le ciment et l‘acier, par exemple, en régime de croisière. Les véhicules électriques en sont une illustration actuelle éloquente.
Faut il s’en alarmer? 2 perspectives peuvent être prises en compte:
Celle, théorique, du marché intérieur européen hors exportations et importations: Sur ce périmètre, on peut se réjouir de l’initiative, qui apparait
- supérieurement incitative pour les producteurs
- Invitant à la chasse au gaspi, voire à la frugalité pour les clients,
Et le timing en parait idéal:
- L’inflation actuelle des énergies fossiles dégrade leur compétitivité et permet d’absorber une partie de la « prime verte » c’est-à-dire du surcoût lié à ces investissements de décarbonation et à l’énergie d’origine renouvelable.
S agissant des échanges internationaux, le tableau est différent:
- Des importations de produits carbonés issus d’installations amorties à bas prix pourraient tailler des croupières à nos producteurs par une supériorité prix malvenue. Des « fuites de carbone » pourraient de ce fait intervenir via la délocalisation de sites européens. La taxe carbone sur ces importations est évidemment la solution, déjà prévue,
- Nos exportations, inversement, subiront une surcharge toxique pour leur compétitivité. Cela effraie légitimement nos voisins allemands, champions d’Europe en la matière. Les 2 options possibles en matière de politiques publiques:
- Ne rien faire et parier sur la créativité de nos industriels pour écraser les prix de revient malgré cette contrainte supplémentaire.
- C’est prendre le risque que la frange la moins solide des industries exportatrices délocalise ses installations dans des pays moins regardants…
- mais le challenge des entreprises par des réglementations contraignantes a prouvé ses effets vertueux à long terme,
- Prévoir une subvention aux exportations vers les pays n’ayant pas notre niveau d’exigence en décarbonation.
- Halte là! dit l’OMC dont les accords internationaux bannissent toute aide aux exportations,
- Ne rien faire et parier sur la créativité de nos industriels pour écraser les prix de revient malgré cette contrainte supplémentaire.
La bataille entre le Parlement européen et la Commission se tiendra dans les jours à venir exactement sur ce terrain.
Que font nos concurrents d’outre Atlantique pendant ce temps?
Sans surprise, les États Unis focalisent sur leur marché intérieur: La dernière grande loi Inflation Réduction Act porte bien son nom! Pour faire passer son grand programme de décarbonation, Joe Biden et les démocrates ont du négocier avec certains représentants critiques au congrès pour gommer la conséquence la plus politiquement incorrecte: l‘inflation. Les investissements indispensables aux producteurs d’énergie et industriels seront donc fiscalement subventionnés. L’État fédéral viole donc tranquillement les règles de l‘OMC puisque cela va bien sûr bénéficier aussi aux exportations américaines!
Encore un choc de valeurs donc, mais plutôt paradoxal celui là:
- L’Europe fait assumer le coût de l’indispensable politique de décarbonation par le marché, des producteurs jusqu’aux consommateurs,
- Les USA socialisent en partie le coût des investissements pour préserver le consommateur – et favoriser leurs entreprises qui pourront plus facilement investir pour leur suprématie technologique. Et le reportent sur les contribuables et les générations futures qui auront à rembourser la dette d’Etat. Une politique anti-gilets jaunes mais aussi très industrielle en quelque sorte!
La contrainte de l’OMC est elle finalement pertinente dans la période charnière pour le Climat que nous vivons?