Les vitesses d’adoption des nouvelles technologies sont un domaine d’émerveillement renouvelé depuis l’ère de l’électricité ou de l’automobile thermique… 

Le téléphone portable montre bien l’extraordinaire réactivité de l’économie mondiale, tant en terme d’offre que de demande: Sa pénétration atteignait 0,6 pour 100 habitants dans le monde en 1991 (année de lancement du Bip Bop par France Telecom!). En 2014, elle atteignait 96 abonnements pour 100 habitants selon l’Union Internationale des Télécommunications. Soit un gain moyen de 4% par an.

Nouvelle technologie qui permet de réduire les émissions de CO2 des 2/3 sur un cycle de vie, la voiture électrique suit également dans chaque pays une trajectoire typique dite courbe en S avec 3 stades très contrastés:

  • En deçà de 5%, la croissance est lente car les first movers doivent faire un effort accru pour trouver les pistes intéressantes et la « prime verte » est élevée
  • A partir de 5%, la visibilité des véhicules en circulation interpelle ceux qui se posent la question d’en changer. L’offre devient plus abondante car les constructeurs ont compris que la vague arrive. Ils redoublent donc d’investissements, ce qui fait baisser les prix,
  • Au delà de 90%/95%, les réfractaires freinent dans la dernière ligne droite et le rythme de croissance s’essouffle.

La Norvège est de très loin précurseur en la matière avec un cap des 5% franchi dès 2013. La Chine l’a franchi à son tour en 2018, bien avant la France, l’Allemagne et le Royaume Uni en 2020!

Au delà de ce seuil critique de pénétration des ventes de 5%, le gain moyen de pénétration sur les ventes de neuf avoisine ensuite 5 points par an. D’où le retard de prévision des scénarios d’adoption de l’agence internationale de l’énergie!

Quelques taux de pénétration de la voiture par pays au Q1 2022 selon les dernières compilations de Bloomberg

  • Norvège: 83,5%
  • Islande: 51,7%
  • Suède 28,7%
  • Danemark: 17,4%
  • Chine: 16,7%
  • UK 16,5%
  • Pays Bas 15,9%…
  • France: 12,3%…
  • USA sans doute 5% seulement en 2022! Mais Bank of America a recensé pas moins de 135 modèles électriques dont la sortie est prévue aux US d’ici 2025. Tesla pourrait ainsi y voir sa part de marché des véhicules électriques passer de 70% à 10%!

La décision stratégique de l’Europe de bannir la vente de véhicules neufs thermiques à effet de 2035 laisse donc 13 ans aux 27 Etats membres pour développer un nouvel éco-système ”EV-friendly”. Ce qui revient pour la France à un gain moyen de pénétration de 6,5% par an, réaliste dès lors que l’offre de véhicules thermiques s’appauvrira inéluctablement – mais sous conditions que nous approfondirons dans un prochain article.

Ce bouleversement des marchés a l’effet d’un ouragan sur ce secteur ultra intensif en terme de main d’oeuvre et de capital qu’est l’automobile. On a ainsi assisté à

  • La percée spectaculaire d’un nouvel entrant, Tesla, sur le marché, avec des véhicules en rupture tant au plan technologique qu’au plan du design,
  • Une résistance des acteurs du diesel surtout via le lobbying – et incidemment un “Dieselgate” qui a accéléré la conversion de VW!
  • 526 milliards$ sur le véhicule électrique dans le monde annoncés par les constructeurs d’ici 2026!
  • Des consolidations ou restructurations mondiales (Stellantis, Renault-Nissan),
  • Le déchirement de l’ACEA, groupe de lobbying du secteur de l’automobile en Europe et la création d’un syndicat bis, l’AVERE, en charge du lobbying sur les véhicules électriques, fort de Tesla, Rivian et du chinois Nio.

Au plan de la Responsabilité Environnementale, tout ceci démontre un principe essentiel: Il est clair que ceux qui ont le plus de moyens doivent jouer les précurseurs quand les produits vertueux sont encore onéreux: cela accélère les effets de visibilité – source d’adoption – et de volume permettant aux industriels d’investir pour baisser les coûts unitaires et démocratiser ainsi la nouveauté. 

Ce sujet d’exemplarité et d’entraînement  concerne évidemment les États, les Collectivités Locales, les Entreprises – pour elles mêmes et leurs fournisseurs idéalement, mais aussi les ménages les plus aisés!

La voiture électrique est encore loin d’avoir stabilisé sa trajectoire (rendez vous dans un prochain article):  elle doit sécuriser l’approvisionnement des matières premières critiques pour ses batteries, spécialement le lithium; elle doit rapidement développer les batteries de nouvelles générations à faible consommation de ressources rares. Les bornes de recharge rapides doivent suivre et même précéder pour booster le rythme d’adoption de ces véhicules.

(L’expérience des départs en vacances en France ne sera pas idéale en 2022: selon l’ASFA, association française des concessions d’autoroutes, seulement 60% des aires sont équipées de bornes de recharges rapides, dont seulement 70% sont HPC…)

Enfin dans la logique d’économie circulaire, le recyclage de ces batteries reste un défi : selon des professionnels du recyclage comme GPA, plusieurs fabricants automobiles se fournissent en Chine en ignorant même le schéma même de leurs batteries… et encore faut il que les véhicules électriques à recycler soient suffisamment nombreux!

Des marges de progrès importantes donc, mais gageons que les entreprises sauront investir pour ne pas laisser le S fléchir en cloche!