Suite à la publication de notre Palmarès de la Transparence des Trajectoires 2023 du CAC40, nous revenons plus en détail sur quelques bonnes pratiques relevées lors de notre étude préparatoire .
Cet article est l’avant dernier d’une série qui aborde les thématiques du Vouloir Faire (Engagements 2030 et 2050), du Savoir Faire (Plan d’Actions ), du Pouvoir Faire (Impacts financiers) et de la Gouvernance.
Pouvoir Faire: Un pilier essentiel de la crédibilité
Pourquoi est-il essentiel à nos yeux de dévoiler les impacts financiers de sa future trajectoire de décarbonation? Tout simplement pour prouver sa faisabilité et renforcer sa crédibilité.
Rappelons nous que toute trajectoire sérieuse exige
- Des objectifs chiffrés et calendarisés de baisse des émissions de gaz à effet de serre,
- Des plans d’actions documentés, dont la somme des impacts représente les baisses attendues à horizon 2030 et 2050.
- Ces plans d’actions ont immanquablement des impacts financiers potentiels de plusieurs ordres :
- Pour les entreprises industrielles surtout mais aussi tertiaires, une hausse des investissements : Immeubles décarbonés, équipements,
- Pour les fournitures de biens et de services, une hausse des coûts reflétant la charge supplémentaire d’investissements que supportent les fournisseurs en amont de la chaine de valeur,
- Pour les clients, enfin, la hausse des prix pratiquée éventuellement par l’entreprise peut engendrer une baisse de la demande donc un fléchissement des volumes et/ou des marges.
Une entreprise qui n’aurait pas les moyens financiers de ses ambitions de décarbonation ne mériterait donc pas la considération de ses parties prenantes.
Mais un environnement hostile aux mauvaises nouvelles…
Les groupes cotés ont au moins 3 bonnes raisons de maintenir une certaine opacité sur ce sujet sensible des impacts financiers:
1- Plusieurs impacts financiers sont objectivement difficiles à estimer:
- Quel sera le cout à l’avenir d’équipements nécessitant certains métaux critiques par exemple?
- Quelle sera la hausse des prix pratiques par certains fournisseurs de matières premieres essentielles, produits semi finis ou même bailleurs d’immeubles décarbonatés?
- Quel sera le cout du carbone sur le marché dans 3, 5 ou 10 ans?
- Quelle sera l’élasticité de la demande des produits de l’entreprise sur base d’une inflation répercutée qu’on ne connait pas encore dans le détail?
2- Les mauvaises nouvelles punissent souvent les messagers…
Les actionnaires des groupes cotés et les analystes détestent les mauvaises nouvelles qui peuvent impacter négativement les cash flow futurs. Cela doit en effet se traduire immanquablement dans les cours de l’action. Ce qui est hautement nuisible pour la rémunération variable de la plupart des dirigeants!
3- Les normes IFRS n’aiment pas le futur!
Lors de nos discussions avec la fondation IFRS, nous avons compris que son allergie était forte à tout type d’annonce prospective. Il n’est pas recommandé d’émettre des “forward looking statements”, toujours incomplets, qui peuvent induire en erreur les actionnaires!
De surcroit, les normes IAS imposent de déprécier les actifs dont la valeur comptable ne correspond pas au moins à la valeur créée par l’activité qu’il permet!
Impacts financiers: Le parent pauvre des publications!
Soyons clairs: Ce domaine des impacts financiers attendus du plan de transition de l’entreprise est celui ou règne la plus grande opacité au sein des publications extra financières des groupes du CAC 40.
Les notes moyennes de notre Palmarès sur ce critère varient d’un secteur à l’autre, témoignant des horizons de planification nativement distincts. Ainsi, l’Industrie lourde a une note moyenne de 4.4 (sur 6) et le Transport de 2.7 (sur 6). A l’inverse, le secteur des Services (1.3 sur 6) et plus encore la Grande Distribution (0.3 sur 6) montrent peu d’anticipation sur cette transition de leur modèle d’affaire.
On constate également des précisions pouvant se limiter aux domaines porteurs de futurs gains de productivité tels que des plans d’économie d’énergie (isolation des bâtiments, GTB, …) ou avec un ROI prévisible (panneaux photovoltaïques, …). Globalement, les impacts communiqués ne semblent représenter le plus souvent qu’une faible part des investissements, charges et pertes de volumes prévisibles pour ces groupes. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient insupportables, compte tenu de leur capacité à générer des cash flows par ailleurs!
Néanmoins, 4 groupes du CAC 40 publient le plan d’investissement de leur transition écologique jusqu’à 2030 : Arcelor Mittal, Renault, Saint Gobain, TotalEnergies.
4 groupes industriels pour qui les investissements de décarbonation sont si massifs qu’il leur est indispensable de gérer la nervosité des analystes à cet égard:
- ArcelorMittal doit agir sur son activité fortement carbonée (son Scope1 constituant 93% de son empreinte carbone),
- Renault opère sa migration vers l’électrification de l’usage de ses produits (77% de son empreinte carbone),
- Saint Gobain doit repenser ses produits fortement issus de sources pétrolières,
- TotalEnergies amorce la sortie des énergies fossiles (33% de ses investissements annoncés dans le solaire, l’éolien, le biogaz) tout en se positionnant sur le marché de la capture, du transport et du stockage du carbone.
Conclusion: Vive la CSRD!
Dans ce domaine également, la CSRD marque un tournant puisque les attentes de cette normes incluent:
Au titre de l’ESRS 2 (General disclosure): La liste des Capex et Opex qu’impliquent les actions nécessaires pour gérer les impacts de durabilité de quelque domaine que ce soit (sous réserve de matérialité de ces impacts),
Au titre de l’ESRS-E1 (Climat): Les montants significatifs de Capex et d’Opex nécessaires à chaque levier de décarbonation.
Une belle année de transparence en perspective!